3.8 Propriétés des limites de fonctions

Dans cette dernière section de ce long chapitre sur les limites, nous allons apprendre à calculer des limites de fonctions de façon efficace, sans avoir recours à des graphes ou des tableaux de nombres. Pour ce faire, nous allons réfléchir à la façon dont se combinent les limites. Nous allons voir que pour calculer une limite, une stratégie extrêmement puissante est de décomposer la fonction dont on veut calculer la limite en terme de fonctions plus simples pour lesquelles le calcul des limites est immédiat.
Comme pour chacune des cinq dernières sections de ce chapitre, commençons avec un exemple.

Exemple 3.8.1. À ce stade, nous savons déjà que la fonction inverse converge vers pour qui tend vers :

De même, nous savons que la fonction constante de constante converge vers :

Question : à partir de ces deux informations, pouvons-nous affirmer quelque chose au sujet du comportement asymptotique (pour qui tend vers ) de la fonction obtenue en additionnant ces deux premières fonctions :

Bien entendu, calculer directement la limite pour qui tend vers de cette fonction n’est pas difficile :

Mais aurions-nous pu trouver ce résultat sans même réfléchir au comportement asymptotique de la fonction ? Pour répondre à cette question, rappelons ce que signifient les deux affirmations :

La première signifie que pour des nombres de plus en plus grands, les nombres se rapprochent uniformément et définitivement de . La deuxième signifie que pour des nombres de plus en plus grands, les nombres se rapprochent uniformément et définitivement de . On déduit directement de ces deux informations que pour des nombres de plus en plus grands, les nombres se rapprochent uniformément et définitivement de . Autrement dit :

La limite pour qui tend vers de la fonction qui est définie comme la somme de la fonction inverse et de la fonction constante de constante est égale à la somme des limites pour qui tend vers de ces deux fonctions. On a pu décomposer le calcul de la limite pour qui tend vers de la fonction en une somme de limites plus simples à calculer.


L’idée que nous avons mise en œuvre dans l’exemple 3.8.1, c’est-à-dire calculer la limite d’une fonction en décomposant celle-ci, est extrêmement utile et générale et permet de calculer des limites efficacement sans avoir à construire sans cesse des tableaux de signes ou des graphes de fonctions. Cette idée se base sur les propriétés des limites que nous allons lister dans cette section qui explicitent la manière dont se combinent les limites (et les divergences).
Il est très important de faire l’effort de comprendre cette idée pour être à même de l’appliquer. Je vous déconseille vivement d’apprendre par cœur toutes les propositions que nous allons donner dans cette section. Appliquer ces dernières mécaniquement sera non seulement pénible mais surtout difficile et peu enrichissant.
Pour cette raison, nous allons essayer d’expliquer le plus en détail la toute première. Cette première proposition de cette section s’intéresse à ce qu’il se passe lorsqu’on additionne deux fonctions qui chacune ont une limite en un point .

Proposition 3.8.2. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que et . Alors la fonction a une limite en et on a :

Nous ne démontrerons malheureusement pas cette proposition et il en sera de même pour toutes les autres propositions de cette section. Néanmoins, essayons de la comprendre : elle exprime en fait un résultat assez intuitif.
Pour partir d’une situation concrète : supposons que je suis dans un train et que je me rapproche peu à peu de l’arrière du train de sorte que j’arrive au bout à 9h00 précise. Supposons également que le train lui-même se rapproche de la gare de Louvain-la-Neuve de sorte qu’il arrivera à destination à 9h00 précise. Pour un observateur sur le quai, au fur et à mesure que l’aiguille de l’horloge se rapproche de 9h00 pile, de quelle position me rapprocherai-je ? Puisque je me rapproche du bout arrière du train et que le train se rapproche du quai de la gare, je me rapproche de la position de laquelle se rapproche le bout arrière du train pour un observateur sur le quai. Les deux mouvements s’additionnent et il en va donc de même pour les positions dont ces deux mouvements se rapprochent.
La proposition ci-dessus porte sur la même idée mais de manière abstraitre. Essayons de comprendre sa généralité avec un exemple formel. Supposons que je possède deux fonctions et dont les graphes sont les suivants :

Ces deux fonctions ont toutes les deux une limite en :


Que se passe-t-il si nous nous créons une nouvelle fonction en additionnant et : .


La fonction a également une limite en et cette limite est la somme des limites en des fonctions et : .
Logique : puisque la fonction se rapproche uniformément et définitivement de à l’approche de et que la fonction se rapproche uniformément et définitivement de à l’approche de , la fonction qui est la somme de ces deux fonctions se rapproche uniformément et définitivement de à l’approche de . Cette remarque n’est évidemment pas propre à notre exemple : il en aurait été de même pour d’autres fonctions et . C’est ce qui est exactement exprimé par la proposition 3.8.2.

La proposition 3.8.2 permet de calculer des limites de façon efficace en décomposant la fonction dont on veut calculer la limite en fonctions plus simples dont elle est la somme. Donnons immédiatement un exemple d’application de cette proposition.

Exemple 3.8.3. Supposons que l’on souhaite déterminer si la fonction suivante possède une limite en .

On remarque que la fonction est la somme des trois fonctions :

De plus, on sait facilement calculer les limites en de ces trois fonctions :

Par la proposition 3.8.2, a donc nécessairement une limite en et cette limite est égale à :

La proposition 3.8.2 décrit ce qu’il se passe lorsqu’on additionne deux fonctions qui possèdent une limite en un point. Il existe bien évidemment d’autres opérations sur les fonctions et d’autres possibilités pour une fonction que d’avoir une limite en un point (elle peut par exemple diverger). Dans les pages suivantes, nous allons donner toutes les variantes possibles de la proposition 3.8.2. Insistons sur un point : n’apprennez pas toutes ces propositions par cœur ! Comprenez-les de sorte que vous puissiez les retrouver par vous-mêmes.


Proposition 3.8.4. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que et . Alors la fonction a une limite en et on a :

Proposition 3.8.5. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que et . Alors la fonction a une limite en et on a :

Proposition 3.8.6. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point

. Soient et avec pour tout telles que et avec . Alors la fonction a une limite en et on a :


Proposition 3.8.7. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point et soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que , et . Alors la fonction a une limite en et on a :

Passons aux cas où la fonction diverge vers .

Proposition 3.8.8. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que et . Alors la fonction diverge en et on a :

Proposition 3.8.9. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que et . Alors la fonction diverge en et on a :


Proposition 3.8.10. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que avec et . Alors la fonction diverge en et on a :

  • Si :

  • Si :

Proposition 3.8.11. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et avec pour tout telles que et . Alors la fonction a une limite en et on a :

Proposition 3.8.12. Soit un intervalle non majoré et soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que , et . Alors la fonction a une limite en et on a :


Les cas où la fonction diverge vers sont très similaires aux cinq précédents et nous ne les listerons pas ici. Passons aux cas où la fonction diverge vers mais où la fonction converge.

Proposition 3.8.13. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que et . Alors la fonction diverge en et on a :

Proposition 3.8.14. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que et . Alors la fonction diverge en et on a :

Proposition 3.8.15. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que avec et . Alors la fonction diverge en et on a :

  • Si :

  • Si :


Proposition 3.8.16. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et avec pour tout telles que et . Alors la fonction diverge en et on a :

  • Si :

  • Si :

Proposition 3.8.17. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point et soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que , et . Alors la fonction diverge en et on a :

À nouveau, les cas où la fonction diverge vers sont très similaires aux cinq précédents et nous ne les listerons pas ici. Passons aux cas où la fonction diverge vers et où la fonction diverge vers .

Proposition 3.8.18. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que et . Alors la fonction diverge en et on a :


Proposition 3.8.19. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que avec et . Alors la fonction diverge en et on a :

Proposition 3.8.20. Soit un intervalle non majoré et soit un intervalle éventuellement privé d’un point .

Soient et telles que , et . Alors la fonction diverge en et on a :

Les cas où la fonction ou la fonction diverge vers plutôt que vers sont très similaires aux cinq derniers et nous ne les listerons pas ici. Tous les cas où on ne considère pas une limite ou une divergence en un point mais pour qui tend vers ou vers sont semblables à ceux que nous avons déjà listés, nous ne les listerons donc pas ici.


Remarque 3.8.21. Il peut sembler que certaines propositions sont manquantes. Par exemples, quid de la différence de deux fonctions qui divergent vers en un point ? Une personne peu rigoureuse pourrait écrire que :

Outre le fait que cela n’a aucun sens, cela est absolument faux ! Je vous interdis de noter de telles horreurs dans le cadre de ce cours.

Ce type de situation est appelé par certaines personnes indétermination . Une indétermination est en fait une situation où on ne peut pas simplement appliquer une des propositions listées ci-dessus pour décomposer une limite ou une divergence que l’on cherche à calculer. Il faut dans ces cas-là ruser, simplifier l’expression de la fonction considérée ou même être imaginatif ! Toutes sortes de choses peuvent arriver !

Illustrons cette dernière affirmation. Commençons par donner un exemple de deux fonctions qui divergent vers en un point mais dont la différence ne converge pas vers , elle diverge vers .

Considérons les deux fonctions :

On a :

Pour tout , on a :

La fonction peut être vue comme le produit des deux fonctions :

On a :

Par la proposition 3.8.10, on en déduit que :

À présent, donnons un exemple de deux fonctions qui divergent vers en un point mais dont la différence diverge vers . Considérons les deux fonctions :

On a :

Pour tout , on a :

La fonction peut être vue comme le produit des deux fonctions :

On a :

Par la proposition 3.8.10, on en déduit que :

Enfin, la différence de deux fonctions qui divergent vers en un point peut malgré tout parfois converger (vers ou un autre nombre). Considérons par exemple les deux fonctions :

On a :

Pour tout , on a :

On en déduit :

Comme on peut le voir avec ces trois exemples, lorsqu’on est face à une indétermination, il n’y a pas d’autre choix que de se mettre à réfléchir. Il n’y a pas de loi générale.

Avant de passer aux exercices, donnons une règle de calcul que certains apprécient énormément : la règle des plus grands exposants. Elle permet de calculer facilement une limite pour qui tend vers (ou vers ) dans le cas d’une fonction rationnelle (quotient de deux polynômes).

Théorème 3.8.22. (Théorème de la règle des plus hautes puissances)

Soit un intervalle non majoré.
Soient et avec pour tout telles que pour tout :

pour un certain , un certain et avec et avec . Alors :

  • Si ,

    on a :

  • Si ,

    on a :

  • Si

    pour un certain , on a :

Démonstration Pour tout avec , on a :

Par les propriétés des limites, on a :

De même :

Par les propriétés des limites, on a donc :

Dès lors :

  • Si , par les propriétés des limites et des divergences, on a :

  • Si , par les propriétés des limites et des divergences, on a :

  • Si pour un certain , par les propriétés des limites, on a :


Remarque 3.8.23. Le théorème est également valable lorsqu’on considère une limite pour qui tend vers .

Exemple 3.8.24. On souhaite déterminer la limite suivante :

Le théorème de la règle des plus hautes puissances nous dit que si la limite ci-dessous existe, alors la limite que nous recherchons existe aussi et est égale à celle-ci :

Or :

Conclusion, par le théorème de la règle des plus hautes puissances, on déduit que :


Et maintenant, des exercices. Beaucoup d’exercices !

Exercice 3.8.25. Soit un intervalle éventuellement privé d’un point . Soient et telles que et .

Que peut-on dire au sujet du comportement de la fonction au voisinage de ? Converge-t-elle ? Diverge-t-elle ? Expliquer.

Solution. Puisque , pour des nombres de plus en plus proches de , les nombres deviennent uniformément et définitivement arbitrairement grands. Puisque , pour des nombres de plus en plus proches de , les nombres deviennent uniformément et définitivement arbitrairement petits. Dès lors, pour des nombres de plus en plus proches de , les nombres deviennent uniformément et définitivement arbitrairement petits (le produit de nombres de plus en plus grands par des nombres petits est de plus en plus petit).


Exercice 3.8.26. Soit un intervalle non minoré. Soient et avec pour tout telles que pour un certain et .

Que peut-on dire au sujet du comportement de la fonction pour qui tend vers ? Converge-t-elle ? Diverge-t-elle ? Expliquer.

Solution. Puisque , pour des nombres de plus en plus petits, les nombres se rapprochent uniformément et définitivement de . Puisque , pour des nombres de plus en plus petits, les nombres deviennent uniformément et définitivement arbitrairement petits. Dès lors, pour des nombres de plus en plus petits, les nombres se rapprochent uniformément et définitivement de (le quotient de nombres de plus en plus proche d’un nombre divisés par des nombres de plus en plus petits est de plus en plus proche de ).


Exercice 3.8.27. Soit un intervalle non majoré. Soient et avec pour tout telles que et .

Que peut-on dire au sujet du comportement de la fonction pour qui tend vers ? Converge-t-elle ? Diverge-t-elle ? Expliquer.

Solution. Puisque , pour des nombres de plus en plus grands, les nombres deviennent uniformément et définitivement arbitrairement petits. Puisque , pour des nombres de plus en plus grands, les nombres deviennent uniformément et définitivement arbitrairement grands. Dès lors, pour des nombres de plus en plus petits, les nombres deviennent uniformément et définitivement arbitrairement petits (des nombres de plus en plus petits auquels on enlève des nombres de plus en plus grands donnent de plus en plus petits).


Exercice 3.8.28. En utilisant les propriétés des limites et des divergences, déterminer les limites ou les divergences suivantes.